Critique de livre : « Schoenberg : pourquoi il compte », par Harvey Sachs
Ses premières pièces matures étaient dans un style post-wagnérien lunatique et émotionnellement turbulent. «Transfigured Night», «Pelleas und Melisande» et «Gurrelieder», tous écrits au tournant du siècle, sont tonals et partagent de nombreux traits avec Mahler et Richard Strauss: formes musicales étendues, harmonies agitées et itinérantes, climax explosifs et un riche , utilisation prodigieuse de l’orchestre. « Gurrelieder », une œuvre de 90 minutes de type oratorio pour un gigantesque conglomérat d’orchestre, de chœurs et de voix solistes, est le nec plus ultra du romantisme germanique extravagant de dernière minute.
Mais même lorsqu’il écrivait dans l’idiome tonal de ces premières œuvres, Schoenberg ne facilitait jamais la tâche à ses auditeurs. Il était, comme le souligne Sachs, « difficile » dès le début. Son premier quatuor à cordes dure 40 minutes d’énergie frénétique entièrement sans pause. Alors que Strauss livrait chaque année un poème symphonique ou un opéra qui devenait un succès instantané, la musique de Schoenberg restait respectée mais rarement jouée.
Et puis, soudain, il exécute une volte-face, l’un des changements stylistiques les plus choquants de l’histoire de la musique classique, échangeant les formes somptueuses et hypertrophiées des premières œuvres contre un nouveau langage d’énonciation compressée, souvent gnomique. Les relations tonales commencent à imploser ; les modèles formels familiers disparaissent ; et l’ambiance émotionnelle, en particulier dans des œuvres théâtrales comme « Pierrot Lunaire » et « Erwartung », devient étrange, intérieure, macabre, voire psychotique.
Les clichés abondent pour décrire ce qu’il est advenu de l’harmonie tonale dans les œuvres de cette période (et de celles de ses deux célèbres étudiants Alban Berg et Anton Webern), dont le plus persistant est que la tonalité était « épuisée » ou « effondrée », c’est-à-dire , qu’en 1910 tout ce qu’on pouvait découvrir sur l’harmonie avait été trouvé et exploité et qu’il n’y avait plus qu’à l’abandonner. Schoenberg, en guise d’explication, a proposé la notion d’« émancipation de la dissonance », expression optimiste s’il en est. Mais le fossé entre l’auditeur volontaire et le compositeur iconoclaste n’a fait que s’élargir, devenir un gouffre. Sans harmonie tonale pour unir et donner une direction au flux des sons, l’auditeur était le plus souvent incapable de trouver une cohérence et un sens à la musique.