Critique de livre : "La carte postale", d'Anne Berest

Critique de livre : « La carte postale », d’Anne Berest

Elle demande à sa mère de lui dire tout ce qu’elle sait, et sa mère, qui a maintenant fait des recherches approfondies sur cette histoire, s’exécute. Elle commence par raconter à Anne la fuite d’Ephraïm et Emma de Russie en 1919, leurs séjours ultérieurs en Lettonie et en Palestine, leur retour intempestif en Europe en 1929 et, enfin, leurs expériences de guerre en France, une séquence dévastatrice de violations et de brutalités qui se termine par leur déportation à Auschwitz en 1942.

La mère d’Anne, une conteuse habile, remplit les blancs avec des actes d’empathie en imaginant où le record historique échoue – comme le moment où Noémie, 19 ans, est obligée de se faire raser la tête peu avant sa mort : « Quand le tour de Noémie est venu, sa les cheveux longs, dont elle avait toujours été si fière, les cheveux qu’elle aimait porter tordus et épinglés sur le dessus de sa tête comme une couronne, tombaient au sol, se mêlaient aux cheveux des autres femmes, formant un vaste , tapis brillant.

Anne donne naissance à son premier enfant quelques jours seulement après que sa mère a fini de raconter cette histoire. Mais ce n’est qu’après l’incident antisémite à l’école de sa fille six ans plus tard qu’elle choisit de revisiter l’histoire de sa famille – sa propre histoire, en fait – et de relancer les questions suscitées par la carte postale : Qui l’a envoyée, et pourquoi ?

Au début, Anne cherche une aide extérieure, employant un détective privé et un graphologue; avec leur aide, pense-t-elle, une réponse pourrait émerger rapidement. Mais les quelques indices disponibles ne mènent qu’à d’autres questions, et Anne et sa mère prennent la recherche en main.

Ensemble, ils se penchent sur les actes de mariage et les documents d’archives, et se rendent à plusieurs reprises dans le petit hameau des Forges, où les arrière-grands-parents d’Anne vivaient avant leur déportation. Ils partent à la recherche de la ferme familiale d’origine, parlent aux habitants actuels puis frappent aux portes des voisins, dont certains abritent encore les biens de sa famille. Chaque nouvelle information qu’ils déterrent porte en elle un fret de douleur, un rappel de ce qui a été perdu. Mais Anne, ayant choisi cette recherche, persiste : « Je suis ta fille, maman », dit-elle à sa mère. « C’est toi qui m’as appris à faire des recherches, à recueillir des informations, à faire parler le moindre bout de papier. Vraiment, je fais juste ce que tu m’as montré comment faire. Je continue votre travail, c’est tout.

Pour Anne, la partie la plus importante du travail est peut-être une quête pour se comprendre – une quête qu’elle entreprend principalement en découvrant sa grand-mère Myriam, sœur de Noémie et Jacques, qui a épousé le fils de l’artiste Francis Picabia et a survécu à la guerre en un gîte rural à 80 km au nord de Marseille. Dans une série de chapitres du point de vue de Myriam – des chapitres qui expriment son anxiété au sujet de ses frères et sœurs et parents disparus, son amour pour son mari accro à l’opium, son désir naissant de s’impliquer dans la Résistance française – un récit qui aurait autrement pu être classé comme un mémoire ou une histoire de famille devient véritablement, par des actes d’imagination empathique, un roman.

L’une des sections les plus dévastatrices retrouve Myriam à Paris après la fin de la guerre, attendant des nouvelles de ses parents et de ses frères et sœurs. elle se rend chaque jour à l’hôtel Lutetia, où sont logés les déportés de retour, pour rechercher ses proches ou quiconque aurait pu les connaître. Un jour, il y a une erreur d’acheminement, et 40 femmes qui devaient être amenées au Lutetia sont conduites à la gare d’Orsay. « Quarante femmes, c’est beaucoup, pense Myriam. Et Noémie en fait partie. Elle peut se sentir il. Elle prend le métro avec le groupe depuis l’hôtel et entre dans la gare le cœur battant. Elle est remplie d’une sorte de lumière, une joie anticipée. Mais aucune des femmes de la gare d’Orsay n’est Noémie.

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