Critique de livre : « Les vulnérables », de Sigrid Nunez

Critique de livre : « Les vulnérables », de Sigrid Nunez

On peut compter sur Nunez pour pousser ses pensées un peu plus loin que la plupart des écrivains. Ainsi son narrateur évoque l’horreur d’être un très jeune contraint d’affronter, lors d’un voyage de classe le jour de la Saint-Valentin dans une maison de retraite, les très vieux :

Nous ne voulions pas aller à cet endroit. Ces gens… sacré Moly, que leur était-il arrivé ? Quelle calamité les avait blanchis, pliés et ratatinés ? … Les voix gazouillantes, les secousses, la bave, les bouches grignotantes.

Comme certaines tempêtes, ce roman bouillonne intensément en un seul endroit. Il y a un peu plus d’intrigue. Le narrateur rejoint de vieux amis lors d’un enterrement. Ils veillent tard, discutent et se passent un joint. Le narrateur souffre d’insomnie ; son écriture va mal ; elle n’arrive pas à se concentrer. Elle erre joyeusement dans un Manhattan vidé. Elle incarne le commentaire de John Ashbery, dans son poème « The Bungalows », selon lequel « parfois rester immobile, c’est aussi la vie ».

Elle habite près du marché vert d’Union Square, elle n’a donc pas besoin de se faire livrer de la nourriture. Mais elle cite un tweet viral qui décrit le confinement comme « la classe moyenne se cachant pendant que les gens de la classe ouvrière leur apportent des choses ».

Je me consacre, jusqu’à la mort de l’un de nous, aux romans de Nunez. Je les trouve idéaux. Ils sont petits, sages, provocateurs, drôles – une bonne et forte compagnie. Son narrateur organise une défense du court roman semi-fictionnel. « Le roman traditionnel a perdu sa place en tant que genre majeur de notre époque », écrit-elle. « Il n’est peut-être pas encore mort, mais il ne durera pas longtemps. Aussi bien fait soit-il, il semble manquer d’urgence. Aussi imaginatif soit-il, il semble manquer d’originalité.

Elle conclut : « Peut-être que ce qu’il nous faut, à notre époque sombre et anti-vérité, avec toute notre hypocrisie flagrante et l’utilisation croissante de l’histoire comme moyen de déformer et d’obscurcir la réalité, c’est une littérature d’histoire et de réflexion personnelles : directe, authentique, scrupuleux quant aux faits.

Il n’est pas nécessaire de la suivre jusqu’au bout et de commencer à creuser la tombe du roman pour sentir qu’elle est sur quelque chose. Cela a toujours été vrai : se faire raconter la vie par un écrivain perspicace peut être aussi bon, sinon mieux, que se faire raconter une histoire.

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