Dans le nouveau roman de JM Coetzee, l'amour réveille une âme austère

Dans le nouveau roman de JM Coetzee, l’amour réveille une âme austère


Les romans de l’écrivain sud-africain JM Coetzee sont minces, tout comme ses personnages, dans l’ensemble : ce sont Modiglianis, pas Boteros. Le plus fantomatique, un saint artiste de la faim, est le protagoniste de son roman « La vie et l’époque de Michael K », qui a remporté le Booker Prize en 1983.

Lorsqu’une personne ample apparaît dans l’œuvre de Coetzee, elle est souvent accompagnée d’un stigmate moral. Prenez le malheureux petit ami « dodu » dans « Diary of a Bad Year » de 2007, ou la fille lesbienne du professeur annulé John Lurie, dans le roman captivant « Disgrace » (1999). Elle est agricultrice. Lurie considère sa chair comme un signe qu’elle a fui les restrictions de la vie intellectuelle civilisée. Coetzee n’est pas connu pour son humour, mais Lurie tente une blague desséchée : « L’amour saphique : une excuse pour prendre du poids. »

Le nouveau roman gravide de Coetzee, « Le Pôle », présente aux lecteurs un autre de ses hommes plus âgés, osseux et priapiques, incapable d’atténuer le désir qui les tourmente et les fait honte. Cette fois, il s’agit de Witold Walczykiewicz, un pianiste de concert de Varsovie dont le nom contient tellement de w, de z et de c que beaucoup de gens l’appellent simplement « le Polonais », comme s’il s’agissait d’une érection parlante. (Le nom de Coetzee est tout aussi difficile à prononcer. J’ai découvert la semaine dernière, même si mon intonation provenait d’une bonne source, que je le disais mal depuis des années. C’est koot-SEE, pas koot-SEE-euh.)

Witold a 70 ans, avec une crinière de cheveux argentés. Il est escarpé, sévère, cadavérique. Il enregistre pour Deutsche Grammophon. Placé au-dessus de son piano, on dit qu’il ressemble à la fois à une énorme araignée et à Max von Sydow. « The Pole » raconte ce qui se passe lorsqu’il voyage pour donner un concert à Barcelone. Là, il devient amoureux de Beatriz, un nom issu de Dante. C’est une mécène des arts riche, gracieuse et mariée. Il commence à la poursuivre, de près comme de loin. Elle pense : « Un vieil homme amoureux. Idiot. Et un danger pour lui-même. Elle n’a pas besoin de lui dans sa vie. Ou bien elle ?

Il s’agit d’un simple fil sur lequel accrocher des perles de perception. Coetzee, âgé de 83 ans, conserve une touche sûre. Il s’agit d’un roman convaincant de la fin de la période. S’il ne figure pas parmi les plus belles œuvres de ce Nobeliste, ce n’est pas une honte. C’est un livre épuré qui évite l’excès de philosophie qui a entraîné certains de ses romans les plus récents.

Parmi les thèmes de ce livre figure la nature même de l’austérité. Witold est un interprète bien connu et controversé de Chopin, mais aussi un interprète de pierre. Il ne transporte pas son public et on dit qu’il sourit rarement. Coetzee est également célèbre pour sa pierrerie, qui se ressent dans son désintérêt pour la mise en scène. Mais il y a un moment sèchement drôle dans ce roman où l’on sent l’auteur s’énerver. Décrivant une agréable journée d’automne, il écrit : « Les feuilles tournent, et cetera. » Ce « et cetera » est l’impatience de Coetzeen pour « yada yada yada ». Comme l’urine tirée d’un cathéter, les descriptions de Coetzee sont un mince filet.

La mortalité est dans l’esprit de Coetzee depuis qu’il est à peine dans la cinquantaine. Ses hommes craignent de sombrer dans le néant sexuel. Beatriz, qui a vingt ans de moins que Witold, n’est pas à l’abri de telles inquiétudes. Son mari a des aventures ; ils ne partagent plus un lit. Elle pense aux mains de Witold. La taille des mains des hommes leur donne-t-elle un avantage au piano ? Ses pensées progressent :

Elle n’a pas beaucoup pensé auparavant aux mains, aux mains qui font tout pour leurs propriétaires comme des serviteurs obéissants et non rémunérés. Ses propres mains n’ont rien de spécial. Les mains d’une femme qui aura bientôt 50 ans. Parfois, elle les cache discrètement. Les mains trahissent l’âge, tout comme la gorge, les plis de l’aisselle.

À l’époque de sa mère, une femme pouvait encore apparaître en public avec des gants. Gants, voiles, chapeaux : dernières traces d’une époque disparue.

C’est un livre sur la conversation, sur ce que l’on dit par rapport à ce que les autres entendent. C’est un livre sur la traduction. Witold et Beatriz sont obligés de converser principalement en anglais, une deuxième langue pour chacun d’eux. Beaucoup de choses se perdent dans la traduction. Incapable de communiquer son amour à sa satisfaction, Witold se tourne finalement vers l’écriture.

C’est aussi un livre sur la philanthropie et la charité. Le monde est en flammes et notre idée d’un acte noble s’envole chez un pianiste mécontent ?

Le roman demande : Que signifie mener une vie bonne ou réussie ? Quelle impression faut-il faire ? Witold est un artiste. Il affirme sa valeur. Il dit des choses comme : « Le bonheur n’est pas le sentiment le plus important… le sentiment le plus important. » (Les ellipses sont celles de Coetzee.) « Tout le monde peut être heureux. »

Beatriz est intelligente et bien éduquée, mais elle craint de ne pas être prise au sérieux. Là encore, faim et sérieux s’entremêlent. Alors qu’il est né en Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale, elle est née en 1967. « En 1967, personne en Europe n’était obligé de manger de la soupe aux choux : personne en Pologne, personne en Espagne. Elle n’a jamais connu la faim. Jamais. Une génération bénie.

Elle est fière de ses fils. Elle se demande : « Est-ce suffisant d’avoir propulsé au monde deux jeunes hommes aussi bien nourris et énergiques ? Peut-être que non. C’est peut-être pour cela qu’elle se retrouve mêlée à Witold. Ou peut-être s’agit-il simplement de pitié existentielle ou d’insécurité. Passé un certain âge, chaque tentative de romance dans une chambre à coucher est une expérience que l’on peut classer sous la rubrique « Nu et effrayé ».



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