Critique de livre : « Le tempérament révolutionnaire », de Robert Darnton
Dans un chapitre intitulé « Les chansons font tomber le gouvernement », Darnton accorde une attention particulière à la profusion de rimes de doggerel – qu’elles soient chantées dans les tavernes, griffonnées sur des pancartes ou scandées lors d’émeutes – qui sont restées gravées dans la tête des Parisiens au cours de leurs journées. . Certaines de ces chansons menaçaient directement la couronne. Un distique percutant, qui a servi d’avertissement à Louis XV, évoquait l’assassinat en 1610 d’un ancien monarque français, Henri IV, par un certain François Ravaillac : « Louis, prends garde à ta vie./Il y a encore des Ravaillac à Paris. »
D’autres vecteurs d’indignation du public comprenaient des incendies d’effigies émeutes ; des mémoires juridiques qui se lisent comme de la fiction ; libelles contre des personnalités d’élite qui se lisent comme du porno ; et des récits poignants et directs de l’emprisonnement à la Bastille. Ceux qui savaient lire faisaient la lecture à haute voix à ceux qui ne le savaient pas. Ce patchwork de manifestations publiques, de mémoires polémiques et de tracts politiques, écrit Darnton, employait des images et « un langage qui pouvait être compris par les Parisiens ordinaires ». C’est l’accessibilité de cette rhétorique qui l’a rendue si efficace pour attiser les rumeurs et provoquer « des répercussions dans tous les secteurs de la population parisienne ».
Darnton concède que ces répercussions sont difficiles à retracer et à quantifier. (Dans sa forme la plus convaincante, son livre fournit des informations concrètes sur les tirages et le taux de vente de documents influents.) Pourtant, l’effet cumulatif de ces travaux, soutient-il, a été de contribuer à établir l’opinion populaire comme une nouvelle force formidable dans la vie politique française. . À maintes reprises, les protagonistes de son affaires remporter la victoire en courtisant l’opinion publique, plutôt qu’en s’adressant aux membres d’une petite élite dirigeante complaisante et majoritairement de haute naissance.
Ces tactiques contrastaient fortement avec la hauteur seigneuriale, le copinage corrompu et l’absence totale de responsabilité qui avaient caractérisé, pendant plus d’un siècle, les hommes de pouvoir de l’ancien régime. Necker, un roturier né en Suisse, a gagné l’adulation des masses en se présentant, observe Darnton, « comme un étranger honnête, responsable devant l’opinion publique et dévoué au bien-être du peuple ». La preuve révolutionnaire de la popularité de Necker fut apportée le 14 juillet 1789, lorsque la Bastille fut prise par des Parisiens furieux, en partie, de la nouvelle de sa destitution par le roi quelques jours plus tôt. Les événements médiatiques et les personnages qui peuplent « L’humeur révolutionnaire » ont conditionné les Parisiens à poser « des questions sur la légitimité du système politique qui ne disparaîtraient pas ».
En lisant cette déclaration en 2023, on se demande ce que Darnton fait de sa résonance avec les développements politiques dans le monde aujourd’hui. De toute évidence, notre époque est dominée par des effusions massives de mécontentement politique populaire, diffusées sur des plateformes et sous des formes qui, il y a encore une génération, soit n’existaient pas, soit n’avaient pas encore la puissance incendiaire qu’elles ont réussi à acquérir depuis. Pourtant, nos guerres de l’information actuelles n’ont visiblement pas réussi à susciter le genre d’idéalisme optimiste, de camaraderie chaleureuse et d’intolérance de principe à l’égard de la tyrannie qui, selon Darnton, en sont venus à définir la lutte révolutionnaire française.