Critique de livre : « En langues », de Thomas Grattan
Il assume son rôle étrange dans la vie de ces hommes : gérer les tâches ménagères, certes, mais aussi participer à leurs dîners, où il est présenté comme « l'ami Gordon ». La jaquette du livre qualifie ce travail de « torride », alors peut-être sommes-nous censés être titillés. En fait, ces gars-là sont moins un ménage à trois qu’une famille moderne. Philip et Nicola supplantent la mère distante et légèrement dessinée et le père absent de Gordon, un gars inefficace avec de profondes convictions religieuses. Le plus jeune homme porte même les vieux vêtements de son patron, comme un fils porterait ceux de son père. Oui, Gordon a une relation sexuelle avec Nicola, mais c'est une rencontre exploratoire, presque innocente, quelque chose qui pourrait bien paraître « torride » aux lecteurs hétérosexuels.
Gordon ne peut pas susciter le désir pour Philip, mais se réjouit toujours de son attention : « Même si je n'avais aucun intérêt à coucher avec lui, je ne voulais pas non plus qu'il arrête de chercher. » C'est une chose sur laquelle Grattan revient un peu trop souvent, son roman s'intéressant moins aux langues qu'aux yeux, au voir et à l'être vu. « Un jour, en quatrième année, raconte Gordon, la chose la plus proche que j'avais comprise de mon intérêt pour les hommes et les garçons était l'attention particulière que je leur accordais. L'un des Mike de ma classe m'a plaqué contre un mur avant que je réalise que je je regardais. Désormais, Gordon veut être regardé, savourant « le frisson d’être considéré comme un régal pour les yeux ».
Ses tentatives pour s'intégrer dans ce milieu raréfié sont dignes de grincer des dents – il est rude sur les bords d'une manière que sa beauté ne peut pas entièrement compenser. Le véritable chagrin vient de sa romance avec Pavel, une star de l'art attachée à la galerie de Philip. C'est peut-être trop inévitable que Pavel le peint. Gordon se souvient qu’« un élève-enseignant trop enthousiaste nous a un jour confié une mission pour discuter d’un super pouvoir que nous aurions souhaité avoir. J’ai écrit sur le fait d’être invisible. Maintenant, il est enfin vu et rendu sur toile. Il s'agit peut-être simplement d'un chef-d'œuvre. Mais il ne peut pas conserver l'affection de Pavel, tout comme il perd (inévitablement) la faveur de ses patrons.
Gordon fait des détours sur le chemin de lui-même : accompagnant Philip en Europe (ils y sont abandonnés après les attentats du 11 septembre, plus une coïncidence historique que quelque chose que le roman entreprend d'aborder) ; suivre Pavel à Mexico; et dans l'avant-dernier acte du livre, retrouver son ancien père à Milwaukee. Il s'agit de la section la plus convaincante du roman : Gordon gagne sa vie, se heurte à l'homophobie de son pieux père et, pour reprendre la métaphore préférée de l'auteur, apparaît enfin au centre de l'attention du lecteur.