Critique de livre : « La vengeance est à moi », de Marie NDiaye
Comme dans les autres romans de Ndiaye, l’histoire ne vit pas dans l’incident mais dans ses conséquences. Le mystère s’empare de Maître Susane. Elle sombre dans une dépression nerveuse. « Qui était pour elle Gilles Principaux ? La question, refrain du roman, contamine les relations de l’avocat. Cela l’éloigne de ses parents, qui rejettent avec crainte ses souvenirs, et perturbe ses réunions avocat-client avec Marlyne.
Il se fraye un chemin jusqu’au domicile de Maître Susane, perturbant une relation déjà instable avec Sharon, sa assidue gouvernante mauricienne. Le désespoir et la distance définissent leurs interactions. Maître Susane attend l’approbation de cette femme africaine, un désir qui aligne l’avocat avec d’autres personnages de NDiaye nourrissant une légère angoisse raciale. Déterminée à faire ce qui est bien envers Sharon, elle s’attaque à son dossier complexe de citoyenneté, qui est bloqué par l’absence des papiers de mariage de l’intendant calme. Les récupérer sans le vouloir plonge Maître Susane dans une autre aventure.
Dans « La vengeance est à moi», NDiaye entoure une configuration familière d’idées : traumatisme et mémoire, anxiété de classe, isolement et altérité, sauvagerie déformée de la vie domestique, rupture entre parents et enfants. Mais elle considère également la texture de la justice : ce qu’elle signifie, comment elle est déterminée et qui la met en œuvre. Maître Susane conseille sur le droit mais ne trouve pas de réparation à ses propres problèmes. Elle est l’avocate, mais qui détient le pouvoir dans ses interactions avec Gilles, avec Marlyne, avec Sharon ?
NDiaye traite des impressions et capte un type particulier de délire émotionnel dans « Vengeance ». Elle se penche sur l’irrégularité, déformant son récit pour imiter l’état psychologique effiloché de Maître Susane alors qu’elle recherche une sorte de vérité. Ellipses intrusives, légion de conjonctions et sauts de paragraphe abrupts témoignent du dénouement de l’avocat. Apprécier cette prose maussade, sensuelle et parfois fiévreuse nécessite la soumission – aux sillons du langage, la performance du récit. Les pensées de Maître Susane s’éparpillent sur la page d’une manière qui, au premier abord, semble aléatoire, mais il y a un principe organisateur en jeu. C’est une question subtile, une inversion obsédante du refrain du roman. Peut-être que la question n’est pas qui est Gilles Principaux mais qui, pour nous, est Maître Susane ?