Bernard Pivot, animateur d'une émission de télévision française influente sur le livre, est décédé à 89 ans

Bernard Pivot, animateur d'une émission de télévision française influente sur le livre, est décédé à 89 ans

Bernard Pivot, un animateur de télévision français qui a fait et défait des écrivains avec une émission hebdomadaire de discussion sur les livres qui a attiré des millions de téléspectateurs, est décédé lundi à Neuilly-sur-Seine, près de Paris. Il avait 89 ans.

Son décès, à l'hôpital après avoir reçu un diagnostic de cancer, a été confirmé par sa fille Cécile Pivot.

De 1975 à 1990, la France regardait M. Pivot le vendredi soir pour décider quoi lire ensuite. Le pays l'a regardé cajoler, aiguiller et flatter des romanciers, des mémoristes, des hommes politiques et des acteurs, et le lendemain, il s'est rendu dans les librairies pour des tables marquées « Apostrophes », le nom du spectacle de M. Pivot.

Dans un univers français où écrivains et intellectuels sérieux se bousculent férocement pour attirer l'attention du public pour devenir des superstars, M. Pivot n'a jamais rivalisé avec ses invités. Il parvenait à une sorte de bavardage élevé qui flattait son public sans pour autant taxer ses invités.

À l'apogée du programme dans les années 1980, les éditeurs français estimaient qu'« Apostrophes » représentait un tiers des ventes de livres du pays. L'influence de M. Pivot était si grande qu'en 1982, l'un des conseillers du président François Mitterrand, l'intellectuel de gauche Régis Debray, s'est engagé à se « débarrasser » du pouvoir d'« une seule personne qui détient un véritable pouvoir dictatorial sur le marché du livre ».

Mais le président est intervenu pour étouffer le tollé qui en a résulté, réaffirmant le pouvoir de M. Pivot.

M. Mitterrand a annoncé qu'il avait apprécié le programme de M. Pivot ; il était lui-même apparu sur « Apostrophes » à ses débuts pour pousser son nouveau livre de mémoires. M. Pivot a accueilli avec bonne humeur la condescendance de M. Mitterrand. Les caractéristiques du jeune présentateur de télévision étaient déjà évidentes dans cet épisode de 1975 : sérieux, vif, attentif, affable, respectueux et penché en avant pour provoquer doucement.

Il était conscient de son pouvoir sans avoir l'air de s'en réjouir. « Le moindre doute de ma part peut mettre fin à la vie d’un livre », déclarait-il au Monde en 2016.

Le président français Emmanuel Macron, réagir au décès sur les réseaux sociauxa écrit que M. Pivot avait été « un émetteur, populaire et exigeant, cher au cœur des Français ».

La mort de M. Pivot a fait la une du journal populaire Le Parisien mardi, avec le titre « L'homme qui nous a fait aimer les livres ».

Pourtant, les « Apostrophes » ont connu des moments sombres, que M. Pivot a fini par regretter au cours des années suivantes : en mars 1990, il a accueilli l'écrivain Gabriel Matzneff qui, en souriant, se vantait du genre d'exploits qui, 20 ans plus tard, l'ont soumis à une répression pénale permanente. enquêtes pour viols sur mineurs. «C'est un vrai professeur d'éducation sexuelle», avait déclaré avec bonne humeur M. Pivot en présentant M. Matzneff. « Il collectionne les petites friandises. »

Les autres invités ont ri, à une exception près : l'écrivaine canadienne Denise Bombardier.

Visiblement dégoûtée, elle a qualifié M. Matzneff de « pitoyable » et a affirmé qu'au Canada, « on défend le droit à la dignité, et les droits des enfants », ajoutant que « ces petites filles de 14 ou 15 ans n'ont pas seulement été séduites, elles ont été soumis à ce qu’on appelle, dans les relations entre adultes et mineurs, un abus de pouvoir. Elle a déclaré que les victimes de M. Matzneff avaient été « souillées », probablement « pour le reste de leur vie ». Alors que la discussion se poursuivait — M. Matzneff s'est déclaré indigné par son intervention —, Mme Bombardier a ajouté : « Aucun pays civilisé n'est comme ça ».

Fin 2019, alors que les accusations contre M. Matzneff s’accumulaient, l’ancienne vidéo avait suscité l’indignation. M. Pivot a répondu : « En tant qu'animateur d'une émission de télévision littéraire, il m'aurait fallu beaucoup de lucidité et de force de caractère pour ne pas m'inscrire dans une liberté à laquelle s'accommodaient mes confrères de la presse écrite et de la radio. »

Dans son émission, il y avait parfois des affrontements entre rivaux ; souvent, c'était juste M. Pivot et un invité. Six millions de personnes l'ont regardé et presque tout le monde voulait participer à son émission.

Et presque tout le monde l’était, y compris des géants de la littérature française comme Marguerite Duras, Patrick Modiano, Jean-Marie Gustave Le Clézio, Marguerite Yourcenar et Georges Simenon. Dans un épisode, Vladimir Nabokov, invité à parler de son roman « Lolita », a exigé qu'une théière remplie de whisky soit mise à sa disposition et que les questions lui soient soumises à l'avance ; il a simplement lu les réponses. Sur un autre, Alexandre Soljenitsyne, à l'air hagard, récemment sorti de l'Union soviétique, s'exprimait par l'intermédiaire d'un interprète.

M. Pivot racontait à l'historien Pierre Nora en 1990 dans le magazine Le Débat après la fin de l'émission que ses émissions préférées étaient celles des grands dont il avait eu le droit de pénétrer dans les résidences — citant entre autres l'anthropologue Claude Lévi-Strauss. « Je les ai laissés avec l'esprit d'un conquérant qui s'était glissé dans la vie privée d'un 'grand homme' », a-t-il déclaré à M. Nora. « Je suis reparti aussi avec le délicieux sentiment d'être un voleur et un prédateur. »

La plupart des invités de M. Pivot ont depuis été oubliés, comme il l'a reconnu lors de l'entretien avec M. Nora. « En 15 ans et demi, que de titres oubliés, recouverts par d'autres titres oubliés ! Mais le journalisme, tel que je le conçois, ne se limite pas nécessairement à ce qui est beau, profond et durable », a-t-il déclaré. M. Soljenitsyne, a-t-il admis, « m’a fait me sentir vraiment, vraiment petit ».

Les réponses qu’il suscitait étaient souvent parfaitement ordinaires, humanisant ses invités exaltés. « La littérature, c'est juste une drôle de chose », dit doucement Mme Duras, après avoir remporté le prestigieux prix Goncourt en 1984.

L'animatrice de télévision n'était pas satisfaite de sa remarque. « Mais, mais comment se fait-il que vous créiez ce style ? » » insista-t-il. « Oh, je dis juste les choses comme elles me viennent », a répondu Mme Duras. « Je suis pressé d'attraper des choses. »

De nombreux écrivains américains figuraient également au programme : William Styron, Susan Sontag, Henry Kissinger, Norman Mailer, Mary McCarthy et d'autres. Le poète Charles Bukowski était présent en 1978, ivre et avalant des bouteilles de Sancerre, agressant un autre invité et se faisant expulser de la plate-forme. « Bukowski, va au diable, tu nous ennuies ! » » a crié l'écrivain français François Cavanna, un autre invité. Lors d'une émission ultérieure, le jeune Paul Auster s'est réjoui des éloges de son hôte à l'égard du français de l'écrivain américain.

Bernard Claude Pivot est né le 5 mai 1935 à Lyon, de Charles et Marie-Louise (Dumas) Pivot, qui possédaient une épicerie dans la ville. Il fréquente les écoles de Quincié-en-Beaujolais et de Lyon, s'inscrit à l'Université de Lyon comme étudiant en droit et est diplômé du Centre de Formation des Journalistes de Paris en 1957.

En 1958, il est engagé par le Figaro Littéraire, le supplément littéraire du journal Le Figaro, pour rédiger le genre d'anecdotes sur le monde littéraire dont raffole la presse française, et M. Pivot est lancé. Il a animé diverses émissions de télévision et de radio au début des années 1970, a contribué au lancement de Lire, un magazine sur les livres, et le 10 janvier 1975, à 21h30, a diffusé le premier des 723 épisodes d'« Apostrophes ». Une autre émission animée par M. Pivot, « Bouillon de Culture », a duré 10 ans, se terminant en 2001. En 2014, il est devenu président de l'Académie Goncourt, qui décerne l'un des prix littéraires les plus prestigieux de France, poste qu'il a conservé jusqu'à 2019.

En 1992, M. Pivot a refusé la Légion d'Honneur, la plus haute distinction civile française, du gouvernement français, affirmant que les journalistes en activité ne devraient pas accepter une telle récompense.

« Mon père était très modeste », a déclaré dans une interview sa fille Cécile, également journaliste. « Il ne voulait rien avoir à faire avec ça. »

M. Pivot est également l'auteur de près d'une vingtaine d'ouvrages, principalement sur la lecture, et de plusieurs dictionnaires.

Outre sa fille Cécile, M. Pivot laisse dans le deuil une autre fille, Agnès Pivot, un frère, Jean-Charles, une sœur, Anne-Marie Mathey, et trois petits-enfants.

« Ai-je une technique d'entretien ? » » a-t-il demandé rhétoriquement à M. Nora lors de l'entretien de 1990. « Non. J’ai une façon d’être, d’écouter, de parler, de demander à nouveau, qui me vient naturellement, qui existait avant que je fasse de la télé, et qui existera quand je n’en ferai plus.

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