Critique de livre : « Kairos », de Jenny Erpenbeck

Critique de livre : « Kairos », de Jenny Erpenbeck

Hans, un romancier d’une cinquantaine d’années et un écrivain de radio à l’esprit élevé, est beau et longiligne, et il a l’air bien avec une cigarette. Katharina n’aime pas pleurer devant lui, alors quand elle s’angoisse un soir à propos d’un stage à venir qui la retiendra à Francfort pendant un an, elle attend qu’il sorte pour faire quelques courses :

Elle profite de son absence et pleure maintenant. Pleure en passant l’aspirateur, pleure en nettoyant la cuisine, pleure dans la salle de bain en frottant la douche et le lavabo, ne s’arrête que brièvement de pleurer lorsqu’elle va descendre les bouteilles vides et se met à pleurer dès qu’elle est de retour dans l’appartement, pleure alors qu’elle décroche les photos qu’elle et Hans ont accrochées ensemble.

Être témoin des larmes de quelqu’un d’autre n’est pas nécessairement s’émouvoir soi-même. Mais absorber « Kairos », c’est comme lire « Wuthering Heights » ou « On Chesil Beach », écouter des albums comme « Berlin » de Lou Reed ou « A Distant Shore » de Tracey Thorn, regarder le film « Truly, Madly, Deeply » ou ingérer un comestible idéal – pour vous mettre sur une trajectoire descendante douce.

Si « Kairos » n’était qu’un larmoyant, il n’y aurait peut-être pas grand-chose de plus à dire à ce sujet. Mais Erpenbeck, un écrivain allemand né en 1967 dont le travail a fortement attiré l’attention des lecteurs anglophones au cours de la dernière décennie, fait partie des romanciers les plus sophistiqués et les plus puissants que nous ayons.

Au fond de ses phrases, comme des fugitifs, s’accrochent des indices de la politique, de l’histoire et de la mémoire culturelle de l’Allemagne. Il n’est pas surprenant qu’elle soit déjà évoquée comme future nobeliste. Son travail a attiré des traducteurs vedettes, d’abord Susan Bernofsky et maintenant le poète et critique Michael Hofmann.

« Kairos » est le sixième livre de fiction d’Erpenbeck à paraître en anglais. Son précédent roman, « Go, Went, Gone », a été publié aux États-Unis en 2017. Il s’agit d’un professeur de lettres classiques à la retraite qui est impliqué dans le sort des réfugiés africains en Allemagne. Je l’ai trouvé puissant mais souvent tendancieux.

« Kairos » – le titre fait référence au dieu grec de l’opportunité – est son roman le plus terre-à-terre à ce jour. Ce n’est pas seulement le sexe; c’est un roman dans lequel on dit que les pensées ressemblent à Karl Marx et qu’on dit que regarder à l’intérieur du réfrigérateur d’un étranger équivaut à aller au cinéma. Elle écrit aussi de plus près à son propre inconscient.

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