Louise Glück, 1943-2023 : 5 grands poèmes à lire
« Sirène »
En parlant de cinéma, ce poème du recueil « Meadowlands » de Glück de 1996 emprunte délicieusement au monde du film noir pour dépeindre l’autre femme dans un triangle amoureux : « Je suis devenue une criminelle quand je suis tombée amoureuse./Avant ça, j’étais serveuse, », lit-on dans la strophe d’ouverture. Le poème continue : « Je ne voulais pas aller à Chicago avec toi./Je voulais t’épouser. Je voulais/que ta femme souffre./Je voulais que sa vie soit comme une pièce de théâtre/dont tous les rôles sont des moments tristes. Si ce virage effronté vers le genre et le jeu de personnages semble inattendu de la part de Glück, cela ne devrait pas être le cas. D’une part, elle a toujours eu le don d’une romancière pour habiter les personnages de son œuvre (et a en fait écrit un roman de rechange tard dans sa vie). D’autre part, il est utile de comprendre que le livre « Meadowlands » dans son ensemble est un riff sur « l’Odyssée », prenant Pénélope et Ulysse et les autres personnages de l’épopée comme archétypes du mariage contemporain exploré par le livre. En ce sens, « Sirène » parle, eh bien, d’une sirène, du genre chantant sur un rocher, et nous sommes de retour dans le monde de la mythologie et du désir dont Glück a écrit avec tant d’autorité. Cette fois, elle s’est juste amusée de manière plus exubérante. (Lisez le poème complet ici.)
« Théorie de la mémoire »
Le recueil de 2014 de Glück « Nuit fidèle et vertueuse », qui a remporté le National Book Award en poésie, traitait aussi explicitement que n’importe lequel de ses travaux des thèmes de la mort et de l’art, et a poursuivi son évolution depuis ses premiers poèmes confessionnels vers un style plus imaginé, univers romanesque centré, dans ce livre, sur un peintre à la fin de sa vie. Il embrassait également une plus grande variété de formes que les livres précédents de Glück, avec de longues lignes et de longs poèmes (le poème titre compte 10 pages) et une poignée de poèmes en prose de type zen intercalés partout. « Théorie de la mémoire » en fait partie, et elle a la qualité charmante et mystérieuse d’une fable ironique qui se lit comme une nouvelle de Lydia Davis. Le narrateur est « un artiste tourmenté, affligé de nostalgie mais incapable de nouer des attachements durables », mais « il y a très, très longtemps », nous informe-t-il, « j’étais un glorieux dirigeant unissant tout un pays divisé – c’est ce que m’a dit le diseuse de bonne aventure qui a examiné ma paume. De grandes choses, dit-elle, sont devant vous, ou peut-être derrière vous ; il est difficile d’en être sûr. Et pourtant, ajouta-t-elle, quelle est la différence ? En ce moment, vous êtes un enfant qui se tient la main. avec une diseuse de bonne aventure. Tout le reste n’est qu’hypothèse et rêve. (Lisez le poème complet ici.)
« Chanson »
Il s’agit du dernier poème du dernier recueil de Glück, « Recettes d’hiver du collectif », un livre épuré et hanté par la mort de seulement 15 poèmes paru en 2021, un an après que Glück ait remporté le prix Nobel de littérature. Il prend à nouveau l’art et la mort comme ses préoccupations centrales, et ce poème — qui revient aux lignes laconiques et aux images austères du début de la carrière de Glück — se résume à une conversation entre l’oratrice malade et son ami céramiste Leo, qui « fabrique les plus belles bols » et « m’apprend/les noms des herbes du désert ». Il y a une astringence dans le poème (que vous pouvez lire ici) et une tristesse ; l’oratrice sait qu’elle ne vivra jamais assez longtemps pour voir les herbes en personne. Mais il y a aussi une sorte d’espoir, dans lequel nous voyons l’aspiration antérieure de Glück vers Dieu transformée en un désir ardent de pérennité de l’art : « Leo pense que les choses que l’homme fait/sont plus belles/que ce qui existe dans la nature », dit l’orateur. » dit, et quelques lignes plus tard : « Il m’apprend/à vivre dans l’imagination. » Le poème se termine par une vision qui place Glück dans le rôle du prophète du désert et offre une élégie parfaite dans son couplet final :
Je vois sa maison au loin ;
de la fumée sort de la cheminée
C’est le four, je pense ;
seul Léo fabrique de la porcelaine dans le désert
Ah, dit-il, tu rêves encore
Et je dis alors je suis content d’avoir rêvé
le feu est toujours vivant