Critique de livre : « Tremor », de Teju Cole
Qu’est-ce qui est obscurci dans les propres méditations de Tunde sur l’art et la politique, ou éludé dans ses souvenirs de la vie à Lagos, de ses voyages en Europe et en Afrique ? Dans l’un des épisodes les plus marquants du roman, Tunde se souvient être sorti du Louvre et avoir mis en colère, en le prenant en photo, un vendeur sénégalais de bibelots de la Tour Eiffel. Tunde pensait que ces commerçants noirs étaient ses « frères », mais l’homme « ne voyait rien d’autre qu’un ennemi de classe ».
Ici, le personnage et le roman atteignent les limites de l’auto-examen essayiste en tant que correctif éthique de son propre pouvoir et de ses privilèges. Seule l’invention – de nouvelles voix, de nouvelles formes – apportera une réponse adéquate. Ainsi, après ce qui semblait, dans la conférence de Tunde, comme l’apogée du solipsisme autofictionnel, Cole présente 24 courts monologues de divers habitants de Lagos – tous sans nom mais indélébiles. (La ville est une sorte de personnage dans « Tremor », une des manières par lesquelles Cole rend hommage à une autre influence, Italo Calvino.)
Il y a ce jeune homme qui dit : « Les orgies se produisent à tous les niveaux à Lagos. Il ne s’agit pas ici de personnes riches ou de la classe moyenne. Je ne suis pas riche. » La femme qui détaille une rencontre avec un homme adepte du BDSM : « Je suppose que la femme yoruba qui sommeille en moi est sortie. Ne me gifle pas mec ! Dans la plupart ou la plupart de ces récits, d’autres vies sont submergées ou ont été réduites au silence : une mère violée il y a des décennies lors d’une invasion de domicile, une domestique violée par le chauffeur de son employeur.
Les histoires de Lagos sont liées à une série d’images troublantes que Tunde analyse avec ses étudiants de Harvard. Parfois, « Tremor » se transforme en une discussion quasi théorique sur la douleur des autres. Même (est-ce que « même » est le mot juste ?) les images les plus exquises ou les plus envoûtantes sont pleines d’associations vicieuses, d’éléments obscènes juste hors du cadre.
Les histoires d’agression sexuelle ne sont pas examinées par Tunde, ce qui convient à un personnage troublé par les dilemmes éthiques liés à la représentation de la violence mais qui les aborde avec un œil quelque peu distancié, bien que cultivé. Dans « Open City », le narrateur esthète de Cole, Julius, semble avoir bloqué ou oublié le fait qu’il avait violé une fille au début de son adolescence. Le nouveau roman, laissant Tunde à son accès de cécité temporaire, nous donne encore une fois plus d’informations que son protagoniste : le témoignage des citoyens de Lagos existe dans un domaine fictif différent de celui de Tunde (à moins que ces personnages ne lui traversent l’esprit).